Par Ulysse Boh Mendy _étudiant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal_
Né dans une région en proie à un conflit armé, j’ai vécu dans une zone forestière et homogène. Dans mon terroir, le paysage est toujours le même : villages, forêts, plantations, pistes, rizières etc. Chez nous, tout le monde se ressemble et tout le monde vit en commun. C’est l’Afrique, la vraie Afrique qui conserve son identité et son image. Ici, nous ne connaissons les frontières que de nom.
Les frontières dont il est question sont des frontières coloniales. Celles que le colonialisme portugais et français ont établies. En réalité, il n’y a pas de frontières chez nous même si nous ressentons leur existence. Une frontière, c’est tout le joug que le colonialisme fait peser sur les populations autochtones d’une zone jadis unie. La frontière est un des héritages les plus dramatiques de la colonisation.
En réalité, c’est deux villages peuplés des mêmes groupes ethniques ; un des villages ayant le français pour langue officielle et l’autre, la langue portugaise. C’est deux villages traditionnels appartenant à une même communauté ; les deux villages ayant un assemblage de tissus (drapeau) de couleurs différentes. C’est deux villages qui se retrouvent dans deux territoires artificiels de dénominations différentes. C’est une même famille, un même peuple divisé et dont chaque « partie » doit désormais avoir comme langue officielle, la dialecte du colonisateur.
J’ai vécu douze années fermes dans mon terroir et je n’ai jamais vu cette frontière que j’ai pourtant traversée toute mon enfance durant pour aller et revenir de l’école. La frontière, je ne l’ai vue que plusieurs années après. Quand je l’ai vue, j’ai eu l’impression de voir ma grande Afrique réduite à un petit lopin de terre d’à peine quarante centimètres sur quarente. Pour une fois que j’ai vu la frontière, je l’ai photographiée. C’était une sorte de borne ; un assemblage de béton, de ciment, et de fer perdu au milieu de nul part. Un assemblage de béton, de ciment et de fer dont le seul but est de diviser une famille, un peuple, un royaume.

Photo prise par Ulysse Boh Mendy en août 2020
Sur cette petite borne faite de fer, de béton et de ciment, on peut apercevoir des chiffres et des lettres. La seule écriture qui attire l’attention est une date, 1951, probablement la date à laquelle cette chose (borne) a été placée à cet endroit. Pour quelle raison l’ont-ils mise là ? Pourquoi ne l’ont-ils pas placée ailleurs. Qui l’a placée à cet endroit ? De toutes façons, en 1951, tous ces territoires artificiels administrés par les européens n’étaient pas encore « indépendants ». Alors, celui qui a implanté cette borne à cet endroit a sans doute prémédité son act; celui de diviser tout un peuple jadis uni et de le disperser dans deux nouveaux « États » différents. Désormais, on a des Baïnounks à Jégue et des Baïnounks à Bouroffaye. Désormais, on a des Manjaks à Pëntsiên’upetsa et des Manjaks à Boutoupa. Désormais, on a des Balantes à Ingoré et des Balantes à Diattacounda. Désormais, on a des Mandingues à Mansabaa et des Mandingues à Djibanar. Le constat est alarmant mais il est le même partout en Afrique.